Conférence "Choose Europe for Science" : de qui se moque-t-on ?

, par  Secrétariat BL , popularité : 21%

Communiqué de l’intersyndicale de l’enseignement supérieur et de la recherche, dont la CGT-INRAE est signataire. Lire version mise en page.

Accueil des chercheur·ses internationaux en France : de qui se moque-t-on ?

Le 5 mai Emmanuel Macron organise un ersatz de cérémonie d’accueil pour « les chercheurs du
monde entier » qu’il appelle à rejoindre la France. Ce soudain intérêt du président pour la
recherche, nationale ou internationale, questionne alors que l’enseignement supérieur et la
recherche sont très brutalement attaqués aux Etats-Unis, avec une remise en cause tout à la fois
des libertés qui président partout à la vie universitaire, de la libre détermination des sujets
d’enseignement ou de recherche par les enseignants et les chercheurs, ou des financements
permettant le plein fonctionnement des institutions d’enseignement et de recherche.

Des chercheur·ses sont brutalement licenciés, les budgets d’agences de recherche sur le climat
comme la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration), sur la santé comme la NIH
(National Institutes of Health) ou sur l’espace comme la NASA (National Aeronautics and Space
Administration) sont largement amputés, des bases de données sont brutalement fermées, les
financements fédéraux de plusieurs universités sont gelés, des étudiant·es sont poursuivis par la
justice. De nombreux projets de recherche internationaux sont à l’arrêt, les déplacements de
chercheur·ses états-uniens sont entravés, leur participation à des groupes internationaux comme
le GIEC remis en question.

Face à cette lame de fond à laquelle sont confrontées l’université et la recherche publiques,
l’intersyndicale de l’ESR rappelle que pour lutter contre l’obscurantisme, il est urgent de défendre
la liberté de production et de diffusion des savoirs, comme bien commun et facteur de progrès
social. La solidarité envers la communauté de recherche mondiale s’impose et il est indispensable
de pouvoir accueillir ces collègues tout comme celles et ceux empêché·es de travailler ou
persécuté·es dans leur pays, quel qu’il soit.

Dans ce contexte, la mise en place d’une plateforme “Choose France for Science”, annoncée par
le Président de la République française, en réponse à la situation des chercheur·es aux Etats-Unis
est choquante, voire indécente.

Indécente, car la politique du Président Macron depuis 2017 a considérablement affaible
l’Enseignement supérieur et la Recherche (ESR) en France non seulement par un sousfinancement
chronique, des regroupements forcés et un pilotage accru, mais aussi par des
atteintes quasi incessantes à la liberté académique : attaques sans fondement de la Ministre
Frédérique Vidal contre les sciences humaines et sociales, supposées gangrénées par de
supposés chercheur·ses « wokistes » ou « islamo-gauchiste », sanctions disciplinaires contre des
chercheur·ses qui ont exprimés leur solidarité au peuple palestinien, interdiction de conférences et
de séminaires sur la situation à Gaza dans les Universités de Lille, Lyon, Bordeaux, etc. S’y
ajoutent les dispositions des Zones à Régime Restrictif (ZRR), qui conduisent à des dérives
inquiétantes sur les libertés (dont celle de publication) et les recrutements sous couvert de
sécurité nationale.

Et bien sûr le meilleur moyen d’affaiblir la recherche et la diffusion des connaissance est tout
simplement d’assécher les finances publiques des établissements concernés. Sous la présidence
Macron (2017 - 2022), le nombre de personnels enseignants titulaires a continué de baisser (-
3,1% depuis 2015) tandis que celui des personnels enseignants contractuels explosait dans des
proportions inquiétantes (+18,5%) et que le nombre d’étudiant·es augmentait (+325 000 / +
12,5%), la part de la richesse nationale consacrée à la recherche est passée de 2,25 % à 2,22 %
(quand les États-Unis y consacrent 3,47 %), le bâti universitaire est en phase de délabrement
accéléré (57 % de passoires énergétiques, 1/3 de bâtiments « vétustes »). Après les coupes
brutales dans les budgets de l’ESR en février 2024 (-600M€), le gouvernement Macron a encore
taillé 950 M€ en 2025 (dont -493 M€ sur la mission enseignement supérieur et recherche)...

Dans ce contexte, les annonces du gouvernement Macron-Baptiste (ministre de l’ESR) ainsi que
certains président·es d’université ne visent qu’à redorer leur image à peu de frais.

Loin de répondre aux besoins criants des travailleur·ses et des étudiant·es de l’ESR public, ces
annonces sont choquantes : évoquer une enveloppe de plus de 300 000 € par an par chercheur·se
états-unien accueilli quand le salaire moyen d’un·e enseignant·e–chercheur·ses en France s’élève
à 63 000 € brut / an (rapport social unique 2022), quand des milliers d’ATER (attaché·es
temporaires d’enseignement et de recherche) payés 22 % au-dessus du SMIC (ou 13 % endessous
pour les 1/2 ATER), quand 170 000 vacataires sont payés sous le SMIC avec plusieurs
mois de retard, quand 35 % des agent·es du secteur ont un statut précaire de contractuel. Et que
dire de l’effondrement (-27 % depuis 2000 selon l’INSEE) du pouvoir d’achat des agent·es du
secteur public, qui conduit à la paupérisation de toutes et tous, et en particulier des plus modestes
(collègues de catégorie B et C notamment), qui assurent l’entretien et l’administration
indispensables au fonctionnement de nos universités et organismes de recherche.

La recherche est oeuvre collective, et la concentration des moyens sur quelques individus ou sur
quelques laboratoires (comme le prévoyait le projet des Key Labs), dont la contrepartie est leur
raréfaction pour la masse des autres, est en réalité un frein aux progrès indispensables.

Les organisations signataires, outre l’accueil décent de collègues empêchés ou persécutés dans
leur pays, continuent de demander un budget ambitieux, à la hauteur des enjeux, pour le service
public de l’ESR.
Paris, le 2 mai 2025