« Révolution » ou « stupidité absolue » ? - Discours d’Emmanuel Macron sur l’avenir de la Recherche française

, par  Secrétariat SF , popularité : 64%

Déclaration de la Commission Exécutive Nationale de la CGT-INRAE le 19 décembre 2023

Dans un discours prononcé le 7 décembre 2023 devant quelques 300 présidents d’universités, dirigeants d’EPST, et chefs d’entreprises privées, Emmanuel Macron a énoncé les mesures qu’il voudrait voir appliquer à la Recherche Publique dans les 18 prochains mois. Les « pistes » qu’il a dégagées ne peuvent que renforcer le processus de dégradation en cours, qui amène de plus en plus d’agents à s’interroger sur le sens de leur métier et leurs conditions d’exercice.
En dépit de la déclaration enthousiaste du PDG de l’INRAE envoyée lundi à tous les personnels, la subvention 2024 d’Etat à l’INRAE ne progresse que de +1%, soit très en deçà de l’inflation (environ 3.9%), et donc en forte baisse en euros constants. La hausse annoncée par le PDG ne repose ainsi que sur l’augmentation du volume des contrats (+18%), actant un désengagement de plus en plus important de l’Etat, ne pouvant que se répercuter sur le soutien aux unités. De plus, l’annonce d’une campagne de recrutement en hausse de 24 emplois ne peut masquer que le nombre d’agents titulaires à l’INRAE a diminué de 235 emplois depuis la fusion INRA-IRSTEA (alors que l’Etat s’était engagé dans le Contrat d’objectif à maintenir les effectifs !), avec un effondrement du nombre de techniciens devenu inférieur à celui des ingénieurs, et que la précarité galope. Alors que les équipes n’en peuvent plus de rechercher des crédits pour survivre tout en étant soumises à de plus en plus de procédures bureaucratiques intolérables, le président de la République n’entend en rien nous redonner les moyens de fonctionner correctement. Toujours la même rengaine : « guérir » le patient avec ce qui l’a rendu malade !!! Qu’on en juge par quelques extraits choisis de son discours- désolé pour la novlangue néolibérale utilisée (consultable ici).

Agences de programmes : logique d’appels d’offres, encore et toujours !!!

« Je souhaite que réussissions à transformer nos grands organismes nationaux de recherche en de vraies agences de programmes » (…) C’est une vraie révolution dans l’approche. C’est une vraie révolution dans l’organisation. »

L’INRAE se transformerait ainsi en une agence de programmes « agriculture, alimentation durable, forêts, ressources naturelles associées » tandis que le CNRS se verrait attribuer « climat, biodiversité et société durable ». Tout en prouvant ainsi l’échec fracassant de 20 ans de politique qui, avec la création de l’ANR en 2005, entendait priver les organismes de leur stratégie d’orientation, cette mesure présidentielle puisée dans le « Rapport Gillet » est en réalité porteuse de grands risques pour l’INRAE. A part les alliances qui s’arrêtent mais qui étaient des coquilles vides, l’ANR et le HCERES continuent, soit un pilotage encore et toujours fondé sur une logique d’appels d’offres. De plus, un dispositif complexe serait mis en place visant à empêcher que l‘INRAE n’utilise une part de ses crédits à l’usage exclusif de ses équipes ! Et c’est donc l’ANR qui continuerait de gérer les moyens alloués. La « simplification » du paysage de la recherche se fait en fait au-travers d’une couche bureaucratique supplémentaire… A quoi il faut ajouter l’apparition dans le paysage institutionnel d’un Conseil Présidentiel de la Science, composé de douze scientifiques, chargé "d’alerter sur des dysfonctionnements" et d’aider le Chef de l’Etat à "essayer de bâtir des projets nouveaux et essayer d’aller sur des éléments beaucoup plus de ruptures" ce qui revient à dire que le Président de la République va lui aussi se piquer de piloter la Recherche.

Universités et Organismes Nationaux de Recherche (ONR) : des logiques de sites pour plus de concurrence et de casse du statut

« Les universités doivent évoluer pour prendre une place centrale en tant que cheffes de file pour organiser et gérer la recherche scientifique de leur territoire. […] Faisons des vraies agences de financement qui arrêtent de gérer directement les personnels, faisons de vraies universités autonomes avec des logiques de site […] Sur chaque site universitaire, on doit pouvoir avoir un gestionnaire unique suite aux échanges locaux qui devra être défini pour chaque unité, en le rendant pleinement responsable de l’accompagnement administratif de chacun des chercheurs […] Nous allons amorcer un vrai effort de simplification dans le poids des procédures administratives pour nos chercheurs. Là, dès maintenant, avec un pilotage local des équipes et une évaluation réorganisée. C’est donc par cette logique de site qu’on créera plus d’autonomie réelle et surtout plus de simplification de gestion »

Tout en affirmant ne pas toucher au rôle des ONR dans l’élaboration de la politique nationale, les mesures concrètes annoncées dans ce qu’Emmanuel Macron appelle Acte 2 de l’autonomie des Universités préfigurent directement un transfert des personnels des ONR vers les universités, afin que ces dernières gèrent tous les personnels de toutes les unités de recherche. La gestion de toutes les UMR à l’université, c’est ce que revendique France Universités, l’ex-conférence des Président·es d’Universités. L’INRAE comme les autres ONR pourraient ainsi devenir des coquilles vides, réduites au rôle d’agences de programmes sans moyens, moyens laissés à l’ANR. Quant à la « simplification » de la gestion, pourquoi ne pas commencer par remettre en cause toutes les procédures administratives trop lourdes et chronophages des appels à projets, la suspicion généralisée envers les équipes de recherche, et autres justifications absurdes tatillonnes comme les feuilles de temps ?

Toujours plus de précarité

Les chaires de professeur junior fonctionnent (…) il nous faudra les amplifier, les pérenniser et les étendre à tous les secteurs ». (…) « Je suis incapable de dire s’il faudrait 100% de temps de recherche pour la même personne tout au long de sa vie, et c’est sans doute une stupidité absolue ce système »

Passons sur l’insulte, celles et ceux qui passent leur vie à faire de la recherche à plein temps savent maintenant ce qu’Emmanuel Macron pense de leur situation. Derrière les chaires de professeur junior, son propos est on ne peut plus clair : c’est toujours plus de précarité et maintenant arrive la remise en cause du statut des personnels dédiés à plein temps de façon pérenne à la recherche, chercheur·es comme ITA. Est-il besoin de commenter plus ???

Une évaluation-sanction par l’HCERES

« Aujourd’hui, une mauvaise évaluation n’a aucune conséquence, quasiment, sur une équipe de recherche (…) Il faut qu’on accepte de se dire que sur une équipe de recherche qui a une mauvaise évaluation, on accepte de la fermer »

Chacun à l’INRAE a déjà pu vivre une évaluation expéditive et bureaucratique de l’HCERES. Emmanuel Macron se prononce désormais pour que cette évaluation donne lieu à sanctions. On ne peut accepter que cela soit l’HCERES qui décide de l’avenir des unités et leur financement !

Redonner du sens à nos métiers et redynamiser la recherche publique !

Pour la CGT-INRAE, les solutions sont bien plus simples, plus radicales et plus efficaces, aux antipodes de celles annoncées par Emmanuel Macron :

  • Permettre aux personnels de se consacrer pleinement à leurs recherches et non perdre leur temps à solliciter des financements sur appels à projet : attribution aux unités de recherche d’un financement récurrent d’un montant moyen proche de 20 000€ par agent et par an ; suppression de l’ANR et réattribution de ses crédits aux unités ;
  • Rétablir les volumes d’emplois titulaires nécessaires au fonctionnement correct de chacune des unités, tant UR et UE que SDAR : recrutement annuel de 1000 titulaires dans toutes les catégories, de l’agent technique au Directeur de Recherche, avec un effort plus important dans le recrutement de personnels techniques afin de remettre à niveau les possibilités de recherches expérimentales ;
  • Maintenir le statut de personnels, chercheurs comme ITA, pleinement dédiés à la recherche ;
  • Donner aux jeunes générations de réelles perspectives d’avenir dans la recherche, et non la précarité : titularisation de tous les non-titulaires sur fonctions pérennes et abrogation de la LPR et de ses dispositifs chaires juniors et CDI de mission ; maintien du statut de personnels de la recherche à plein temps ;
  • Arrêter l’extension du mille-feuilles bureaucratique en agences de programmes, agences de moyens et opérateurs de recherche : non à la transformation de l’INRAE en agence de programmes ; oui à des programmes inter organismes et établissements d’enseignement, conçus et mis en œuvre par eux selon leurs modes d’organisation ;
  • Supprimer l’agence d’évaluation HCERES ;
  • Et dans l’immédiat, laissons respirer nos services administratifs fragilisés par 20 ans de contre-réformes incohérentes et donnons la parole aux personnels : moratoire sur SIFAC et Notilus à l’INRAE !

La CGT-INRAE vous invite à vous réunir dans les centres et unités pour discuter de ces questions essentielles pour les personnels comme le devenir de l’Institut !