CA INRAE - 13 mars 2020 : Pour nous, l’employeur doit en premier lieu assurer la protection de ses agents

, par  Secrétariat SF , popularité : 21%

Nous assistons à ce conseil d’administration essentiel au fonctionnement de l’institut, alors que le Président de la République vient d’annoncer la fermeture jusqu’à nouvel ordre des établissements scolaires et des universités, et nous préconise des déplacements limités face à la pandémie de Covid-19. Quid des centres INRAE ? Pour nous, l’employeur doit en premier lieu assurer la protection de ses agents. L’INRAE a déjà pris des mesures et soumis des agents, sur tout le territoire, à des quatorzaines à leur domicile. Mais la situation a évolué, des agents étant ainsi contraints de garder leurs enfants à domicile.

  • Des autorisations spéciales d’absences sont annoncées par la Fonction Publique pour être utilisées pour les fonctionnaires et des congés maladies, sans jour de carence, pour les agents contractuels.
  • Nous exigeons que le télé-travail ne devienne pas une obligation et qu’il reste volontaire, que les autorisations spéciales d’absence soient effectivement appliquées aux titulaires, incluant les parents devant garder leurs enfants, que des jours de RTT ne soient pas retenus, que les agents ne soient ni forcés ni incités à prendre des congés, et que le droit de retrait puisse être invoqué par les agents qui seraient consignés pour les impératifs de service.
  • Il est aussi nécessaire de reporter toutes les réunions possibles pour éviter la propagation du virus.
  • En tout état de cause, cette situation extraordinaire appelle la convocation au plus vite d’un CCHSCT extraordinaire : par visioconférence.
  • Dans cette situation exceptionnelle, il apparaît impossible de garantir des conditions démocratiques de préparation des élections prévues à l’INRAE dans le calendrier prévu avec dépôt des listes à mi-avril. Sans mésestimer les problèmes juridiques, qui nous semblent cependant possibles de lever en arguant de cette situation, nous demandons un report de ces élections à l’automne.
    Cette crise sanitaire met aussi cruellement en lumière l’impasse dans laquelle nous amène la recherche sur projet. Comme l’ont récemment montré plusieurs collègues dans les médias, le développement de la recherche sur les coronavirus a été constamment soumis, tant à l’INRA qu’au CNRS, à des financements aléatoires et sur court terme. Et le président Macron vient d’annoncer à nouveau des appels d’offres alors que ce sont des recherches financées sur un long terme dont nous avons besoin. Depuis le 5 décembre 2019, la crise sociale, déclenchée par l’imposition de la loi des retraites à points, est toujours très active. 60% de la population soutient le mouvement et si cette réforme voit le jour, personne ne passera entre les gouttes. Mais les personnels de la recherche publique seront particulièrement touchés, ne serait-ce que par la fin du calcul de la pension sur la base des 6 derniers mois. C’est la raison pour laquelle les personnels de l’INRA et de l’IRSTEA puis de l’INRAE se sont mis en grève lors de 15 journées de mobilisation. Pendant ce temps, les jours de grève de décembre 2019 ont déjà été retenus sans attendre l’issue de ce mouvement alors qu’un véritable dialogue social aurait dû repousser cette échéance.
    A partir du 5 mars, c’est une autre crise qui apparaît, celle liée à la future la loi de programmation de la recherche (LPPR) qui est directement couplée à la réforme des retraites. Les personnels INRAE ont manifesté en masse aux côtés des autres personnels de l’ESR et des étudiants ce 5 Mars à Paris et en Province à l’appel de la coordination des facs et labos en lutte, appuyée par la CGT-INRA et d’autres syndicats. Depuis, des motions d’unités de recherche sont votées dans plusieurs centres de l’INRAE, dénonçant la précarisation croissante des carrières de la recherche qui est devenue une préoccupation majeure et qui porte déjà atteinte à l’attractivité des métiers et constitue une menace sérieuse à l’indépendance de la recherche publique. Nos doctorants, nos jeunes chercheurs vivent plus difficilement que leurs aînés cette situation au moment de s’engager dans une carrière ambitieuse pour la recherche agronomique qu’attendent nos concitoyens.
    Pourtant, l’avant-projet de loi prévoit d’aggraver la situation en généralisant la contractualisation par la multiplication de nouveaux types de contrats précaires au détriment des postes pérennes pourtant nécessaires à la liberté académique et à une recherche stable, ambitieuse, utile et de qualité. Cet avant-projet propose l’introduction de « CDIs de mission scientifique », en réalité limités à une durée de 6 ans, non soumis à la loi Sauvadet (déjà contournée par les organismes de recherche pour éviter de CDIser les précaires). Ces contrats pourraient être stoppés sur décision de l’employeur si le projet « ne peut [finalement] pas se réaliser ». Le projet de LPPR prévoit également des « chaires de professeur ou chercheur junior », i.e., des dispositifs dits tenure track d’une durée de 5 ou 6 ans pour des personnels ayant déjà multiplié des contrats postdoctoraux. Ces dispositifs ne feraient que repousser et restreindre davantage les perspectives de titularisation déjà tardives, rares et hyper sélectives, sur conditions de résultats correspondant à des critères d’évaluation individuels découplés des réelles plus-values pour l’avancée de nos connaissances.
    Par des évaluations punitives et en contractualisant à la fois les laboratoires et les personnels, l’avant-projet de LPPR propose de réaffecter une partie des sommes que l’État souhaite ne plus investir en cotisations retraites sous la forme de primes et de fonds pour des appels à projets. Autrement dit, des primes seraient attribuées individuellement en dépit de la dimension structurellement collective du travail de recherche, en lieu et place d’une revalorisation du point d’indice depuis longtemps en décrochage, et ce pour l’ensemble des agents. Cette redistribution de crédits serait de plus conditionnée une fois de plus à des critères managériaux de "performance" dont on connait le caractère trompeur.
    Le budget de l’ANR serait augmenté, contribuant à accroître le poids des appels à projets dont on connait le taux d’échec élevé, au lieu de crédits récurrents pour le fonctionnement des unités de recherche. Cela va à l’encontre d’une recherche inscrite sur le temps long et non limitée à de seuls objectifs d’innovation à court terme. L’extraordinaire gaspillage de temps passé à rédiger des projets réduit déjà l’efficacité de nos activités et finalement amoindrit la compétitivité de notre recherche.
    Nous craignons ces effets pervers qui ne peuvent qu’augmenter les écarts entre consortiums en concentrant les moyens vers les sujets à la mode, prévisibles, aux dépens de recherches originales qui s’autorisent des prises de risque. L’accroissement de la compétition entre les laboratoires dans un domaine où elle atteint déjà des niveaux délétères tant sur les plans individuels que collectifs ne nous semble pas une réponse appropriée aux problèmes de nos métiers. Nous sommes convaincus qu’isoler et opposer les collègues sur des objectifs de performance court-termistes et égo-centrés est une atteinte forte aux atouts de la recherche publique française. Pire, cette politique participe au délabrement accéléré de la recherche publique et de la fuite des talents. Aussi, nous nous inquiétons de l’acharnement qui tend depuis des années à mutiler la recherche comme si sa plus grande valeur était de servir de variable d’ajustement des politiques publiques telles que la réduction du nombre de fonctionnaires.
    Mais l’application de la LPPR a déjà du plomb dans l’aile car son financement, au travers des dispositifs d’innovation, est liée aux recettes de la privatisation des aéroports de Paris dont le processus vient d’être stoppé le 11 mars à cause de la chute vertigineuse des cours de la bourse. Cela démontre bien la faiblesse et la fragilité des modes de financement de la recherche qu’on nous impose, alors qu’une recherche indépendante et pérenne est vitale.
    Avec l’expansion du coronavirus et la fermeture des universités, personne ne sait comment va évoluer la situation, mais le virus ne fera pas disparaître l’exigence de l’abandon de la LPPR comme celle du retrait de la réforme des retraites, majoritaire dans la population.